En s’inspirant du modèle américain qui, il est vrai a fait ses preuves il y a quelques années, la création de centres exclusivement réservés à la chirurgie ambulatoire (CA) semble être à nouveau considérée comme étant un moyen d’améliorer le taux d’ambulatoire en France(1). Nous pensons que cela n’est plus une bonne idée pour plusieurs raisons.
La première erreur est de considérer que la CA est la seule façon qualitative de prendre en charge les patients quelle que soit la chirurgie. Cette vision entretient une dichotomie complète entre ambulatoire et hospitalisation. Considérer que le patient est bien pris en charge uniquement parce qu’il est resté hospitalisé moins de 12 h, est une absurdité.
Un patient est bien pris en charge si tout est mis en œuvre pour qu’il reste le temps nécessaire et utile à sa chirurgie. Pour cela, il faut tenir compte de l’intervention bien sûr, mais également du patient lui-même. Par ailleurs, si l’aspect organisationnel est largement prépondérant pour optimiser les parcours ambulatoires pour des chirurgies sans retentissement postopératoires importants, pour des chirurgies plus lourdes, une réflexion médicale est indispensable : c’est l’objectif de la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC). Le principe est une approche d’optimisation des pratiques médicales pour permettre au patient de récupérer mieux et plus vite. Pour ce faire, tous les moyens facilitants ou au contraire freinateurs sont colligés et analysés sur les bases de la littérature scientifique pour permettre de définir des parcours (ou chemin clinique) adaptés au patient et à sa chirurgie.
Que ce soit pour la RAAC ou la CA, l’implication et la coordination de l’ensemble du personnel médical, paramédical et administratif est primordiale. Le rôle du patient acteur de ses soins est aussi majeur. Dans les faits, les deux approches se sont mutuellement enrichies. L’approche organisationnelle développée pour la CA a été facilement intégrée par la RAAC. En retour, grâce à l’amélioration des pratiques anesthésiques et chirurgicales, la RAAC a permis d’élargir les indications de la CA. Il est temps de sortir de la dichotomie « ambulatoire/hospitalisation » et de fusionner les 2 concepts pour aller vers la notion de « parcours de soins optimisés »(2).
Dans cette vision globale, le patient peut sortir plus tôt surtout parce qu’il va mieux plus tôt, la durée moyenne de séjour devient une conséquence et non plus un objectif. Par exemple, une colectomie pour des diverticules chez un patient de 50 ans sportif sans antécédents médicaux grâce à l’optimisation du parcours pourra facilement être réalisée en ambulatoire. À l’opposé, une colectomie pour un cancer chez un patient âgé, diabétique, coronarien et vivant seul ne pourra pas sortir le jour même. En revanche, la RAAC va permettre de diviser par 2, à la fois sa durée de séjour mais également le taux de complications postopératoires(3-5) ! On voit bien que dans cette vision, la barrière des 12 heures, définissant une « hospitalisation vertueuse », n’a plus de sens.
À partir de là, la création de centres exclusivement dédiés à l’ambulatoire n’a, à notre avis, plus d’intérêt et risque même d’être contre-productive pour les 2 concepts. La prise en charge, qui va de la consultation médicale au suivi postopératoire comporte un certain nombre d’étapes qui vont nécessiter la même qualité que le patient reste moins ou plus de 12h. Si l’on reprend l’exemple de nos 2 patients opérés d’une colectomie, ils vont suivre des parcours similaires dont la durée d’hospitalisation n’est plus qu’un des éléments et pas forcément le plus important. De plus, il faut être pragmatique, il n’y a pas de logique à multiplier les besoins en moyens matériels et humains, dans cette période ou les ressources sont précieuses. Cette approche « d’établissement ambulatoire » pouvait avoir du sens il y a une vingtaine d’année en permettant de différencier les parcours ambulatoires organisés autour du patient de l’hospitalisation conventionnelle centrée autour du producteur de soins(6). Mais grâce à la RAAC, ce n’est plus nécessaire. Chaque patient entre dans un circuit, ultra court, court, long selon son intervention mais également ses éventuelles comorbidités et contraintes sociales. Ces différents circuits peuvent aller de 1 à 2 heures pour une cataracte ou une endoscopie, 3-4 heures pour une arthroscopie de genou ou une hernie inguinale, 7-8 heures pour un ligament croisé ou une cholécystectomie, à 10h-72h pour une colectomie laparoscopique ou une arthroplastie, voir 15 jours pour une transplantation hépatique(7).
Plutôt que de vouloir créer de nouvelles structures il nous parait beaucoup plus pertinent d’organiser la généralisation des parcours de soins optimisés grâce à la RAAC pour tous les patients, basée sur une approche à la fois organisationnelle et médicale. D’autant que des données récentes montrent que beaucoup reste à faire(8). Le bénéfice pour les patients est considérable et n’est plus à démontrer(9) et l’impact économique est très important bien au-delà de ce que peut rapporter le seul passage à l’ambulatoire(10,11). C’est un nouveau paradigme, l’hospitalisation 2.0, qui doit se généraliser maintenant ! « Non à l’ambulatoire pour certains oui au parcours optimisé pour tous les patients …. »
Références
1) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RINFANR5L15B3350.html
2) Delaunay L, Slim K. Colectomy in outpatient care or in an enhanced recovery setting: Is there truly any difference? J Visc Surg. 2022 Feb;159(1):2-4.
3) Greco M, Capretti G, Beretta L, Gemma M, Pecorelli N, Braga M. Enhanced recovery program in colorectal surgery: a meta-analysis of randomized controlled trials. World J Surg. 2014;38:1531-41.
4) Ostermann S, Morel P, Chalé JJ, Bucher P, Konrad B, Meier RPH, Ris F, Schiffer ERC. Randomized Controlled Trial of Enhanced Recovery Program Dedicated to Elderly Patients After Colorectal Surgery. Dis Colon Rectum. 2019 Sep;62(9):1105-1116.
5) Slim K, Theissen A. Enhanced recovery after elective surgery. A revolution that reduces post-operative morbidity and mortality. J Visc Surg. 2020 Dec;157(6):487-491.
6) Bontemps G, Daver C, Ecoffey C. Décret d’anesthésie de 1994, chirurgie ambulatoire et responsabilité médicale : nécessaires réflexions sur l’inévitable conciliation entre reglementation et recommandations. Ann Fr Anesth Reanim 2014 ;33 :655-63
7) Brustia R, Monsel A, Conti F, Savier E et al. Enhanced Recovery in Liver Transplantation:
A Feasibility Study. World J Surg. 2019;43:230-41.
8) Delaunay L, Slim K, Joris J, Briquet E, Boudemaghe T, Leger L, Bizard F. Congrès SFAR 2021 ; EP36 Abstract – Réhabilitation améliorée après chirurgie : Diffusion de la réhabilitation améliorée après chirurgie en France. Etude nationale à grande échelle, à partir du PMSI.
9) Slim K, Boudemaghe T, Delaunay L, Léger L, Bizard F. Favorable effect of enhanced recovery programs on post-discharge mortality: a French nationwide study. Perioper Med (Lond). 2022 May 2;11(1):14.
10) Étude de l’impact économique du parcours du patient en chirurgie ambulatoire. F. Bizard. https://docplayer.fr/69425519-Etude-de-l-impact-economique-du-parcours-du-patient-en-chirurgie-ambulatoire.html
11) Bizard F, Boudemaghe T, Delaunay L, Léger L, Slim K. Medico-economic impact of enhanced rehabilitation after surgery: an exhaustive, nation-wide claims study. BMC Health Serv Res. 2021 Dec 14;21(1):1341.